*Assassinat du roi Fo’o Ndong Ngouajeu Jean : Entre mythe et réalité*
Qui a tué le roi Fo’o Ndong Ngouajeu Jean ?
Cette question retentie encore dans les annales de l’histoire du groupement Bafou telle une page blanche en quête de contenu. En effet, chaque peuple est à la recherche permanente des vérités sur les faits marquants qui ont constitués les chapitres brulants de son histoire. Pour le peuple Bafou tout entier, il s’agit d’un droit de mémoire qui lui permettra de faire le véritable deuil de ce héros et martyr, puis de soigner la plaie encore béante d’un crime de lèse-majesté qui a plongé tout le village Bafou dans la tristesse et le désarroi. Si nous partons du fait que la chefferie est sacrée et que le roi est l’incarnation de cette institution symbole de l’identité et de l’autorité du village, l’assassinat d’un roi est perçu comme une attaque et une remise en cause de tout le village entant qu’entité, y compris ses symboles et ses hommes.
Dans la nuit du 28 au 29 septembre 1959, le Roi Fo’o Ndong Ngouajeu Jean est sauvagement assassiné dans sa propre chefferie par des assaillants qui ont par la suite fondu dans la nature. *Qui a donc tué le roi Fo’o Ndong Ngouajeu Jean ?*
Pour répondre à cette question dont les versions sont parfois teintées de mythes et de réalités, il faut au préalable jeter un coup d’œil dans les rétroviseurs du contexte politique et social de cette époque. En effet tant sur le plan interne qu’externe, le groupement Bafou était en véritable ébullition.
En interne, Bafou est fortement secoué par un ensemble de mutations socio-économiques qui impactent sérieusement l’autorité du Roi. Celui-ci est en procès avec plusieurs de ses sujets pour des affaires foncières. Il se dit d’ailleurs que quelques mois avant l’attaque qui a abouti à son assassinat, le Roi Ngouajeu aurait été bousculé devant le tribunal de Dschang par ses sujets Dongmo André et Jioppé Simon avec qui ils étaient en procès ; ce dernier a d’ailleurs eu le bras plâtré pendant de longs mois. Ces derniers ont d’ailleurs été banis du village et se sont réfugié au groupement voisin de Foto, et ne sont revenus à Bafou qu’après de fortes négociations menées par certains grands dignitaires du village. Sur le plan religieux, le roi n’est plus le seul représentant de Dieu sur terre, car l’arrivée du christianisme (qui considère la spiritualité locale comme des pratiques païennes) a conquis de nombreux adeptes dans le groupement Bafou, lesquels ne vouent plus véritablement du respect au roi. Le développement de la caféiculture impulsé par le dignitaire Kemloh Bavoua a engendré de nouveaux riches ; si ce nouvel or vert est un atout pour le développement économique du village, certains sujets s’appuient sur leurs nouvelles fortunes pour se considérer comme des intouchables qui peuvent se passer de la chefferie.
Sur le plan externe, la naissance des mouvements nationalistes conduits par l’UPC (Union des Populations du Cameroun) qui luttent pour l’indépendance du Cameroun, a engendré une rébellion qui a embrasée tout le pays. La région de l’ouest est un bastion important de cette révolte, et les chefs traditionnels, qui trouvent en ces soulèvements une opportunité pour la reconquête de leur autorité perdue au profit de l’administration coloniale, vont se ranger derrière les nationalistes.
Or le cas de Bafou est particulier, car le chef KANA 1er, père de Ngouajeu Jean, avait pris le colon pour allier, l’utilisant pour combattre et soumettre ses voisins Baleveng, Tsinglah et Fokamezou. C’est donc à juste titre que son successeur, va prendre du recul face à cette lutte pour l’indépendance, une attitude qui ne va pas plaire aux autres souverains qui voulaient voir le puissant royaume Bafou beaucoup plus engagé. Cependant, il se dit que le roi des Bafou malgré le fait qu’il avait refusé de prendre les devants de ce mouvement, avait tout de même envoyé une contribution financière colossale d’un montant de 2 millions de francs pour soutenir le mouvement. C’est donc dans un climat particulièrement tendu, tant en interne qu’en externe, que le roi Ngouajeu Jean va être assassiné.
Déjà à la veille de cette sauvage agression, il se dit qu’une réunion des chefs traditionnels s’était tenue à Dschang, dans l’un des domiciles du chef Fomopiah afin de faire le bilan de l’opération de soutien des chefs aux combattants nationalistes. Au cours de ces assises, le chef Bafou va être correctement sermonné, car accusé de connivence avec les oppresseurs ; plus précisément, les autres chefs estiment que sa contribution uniquement financière n’était pas suffisante, et que Fo’o Ndong devait être beaucoup plus impliqué. Le roi Ngouajeu va cependant rester campé sur sa position, et l’éventualité de mettre fin à ses jours va être évoquée de façon à peine voilée et en pleine séance en sa présence par le chef Fokoué ; Croyant qu’il s’agit de simples intimidations, ces menaces vont être prises à la légère. Or en réalité, c’est aux sortir de ces assises que le sort du roi des Bafou aurait été scellé.
Et pourtant sur le chemin du retour, le notable Mo’oh Sob Nguimapi qui accompagnait le chef Bafou à cette réunion et qui avait suivi tous les débats, va demander au roi de prendre ces menaces au sérieux, et de quitter la chefferie pour quelques temps afin de se mettre en cachette ; cette proposition va être rejetée par le roi Ngouajeu en disant : « Au grand jamais je n’abandonnerai ma chefferie et mon peuple pour me mettre en exil par peur. Je suis un lion et je n’ai peur de rien ni de personne ».
Sur le terrain des opérations, le bataillon des « maquisards » est dirigé par un certain Monsieur Chrétien originaire du village Fokamezou, communément appelé Ndeuk Mezou (le blanc de Mezou) du fait de son teint très clair. Ce dernier est soupçonné d’entretenir des relations extra-conjugales avec une des épouses du roi des Bafou, elle aussi originaire du village Fokamezou. Ce dernier se serait donc rapproché de cette fameuse épouse pour être informé des faits et gestes du chef. En mettant en avant ses origines Fokamezou et leur revanche contre les Bafou qui avaient fait tuer leur chef par les colons blancs, Ndeuk Mezou parvint à convaincre l’épouse du chef à s’allier au complot en livrant à la mort l’homme qui l’avait aimé et qu’elle avait épousé pour le meilleur et pour le pire.
« Ne l’attaquez surtout pas tant qu’il est dans son palais, car il détient plusieurs armes à feu et une cargaison infinie de munitions. Lorsqu’il sort de son palais, il se déplace avec une arme à cinq coups ; je lui préparerai le taro à la sauce jaune qu’il aime beaucoup, et je l’entrainerai à ma cuisine. Je vous donnerai alors le signal et vous attaquerez. Dès qu’il aura tiré cinq fois, il deviendra vulnérable, et vous pourrez l’attraper même à l’aide de vos mains », déclara cette femme aux allures d’Êve dans le jardin d’Eden.
Ainsi fut dit, ainsi fut fait…
Cependant, le roi Ngouajeu Jean ne capitula pas sans faire des victimes dans le camp adverse. Sa première balle assomma un homme masqué qui fut par la suite identifié comme étant le chef de village Fonakeukeu dans le groupement Foto. Il abattu deux autres assaillants et au bout de cinq coups, son arme n’avait plus de munitions : La messe était dite…
Le sol sacré de Bafou reçu à cet instant les premières gouttes de sang d’un homme qui est resté fidèle et loyal à ses principes et à ses valeurs.
Et chaque goutte de son précieux sang était un cri fort adressé à la postérité, pour que l’homme Bafou reste à jamais digne et loyal.
Si la vie est un don gracieux de Dieu, la mort n’est pas une fin en soit, tant qu’elle est un sacrifice pour donner un sens aux générations futures : c’est en cela que le sang des martyrs est une source sacrée dans laquelle s’abreuvent les générations futures dans leur quête et dans leur marche.
Cette nuit-là, les coups de feu qui avaient retentis au sein de la chefferie Bafou, avaient créé un climat de stupeur dans le village. Un courageux s’était pourtant précipité nuitamment à Dschang pour informer le français Monsieur Kinzer, alors chef de subdivision, de l’invasion de la chefferie et de l’assassinat du roi des Bafou. Celui-ci se rendra immédiatement à la chefferie pour s’enquérir de la situation, et les riverains au palais royale qui ne comprenaient véritablement pas ce qui se passait, et qui avaient identifier le véhicule de Kinzer, vont faire circuler la nouvelle selon laquelle c’est l’administrateur qui avait mis fin aux jours du monarque. Lorsque Kinzer retourna à la chefferie Bafou le lendemain, il failli être lynché par une foule en furie. Pour montrer son innocence et sa bonne foi, il organisa de facto une expédition vers Fokamezo avec un bataillon de guerriers Bafou spontanément constitué. Une certaine version raconte que c’est une femme malade mentale qui avait l’habitude de flâner à l’esplanade de la chefferie, qui va donner l’information selon laquelle « Ils sont venus et sont repartis par Fokamezou ».
A leur arrivé à Fokamezou dans les environs de six heures du matin, le chef de village fut aperçu auprès d’une rivière ; interrogé sur sa présence à cet endroit et surtout à cette heure si matinale, le chef Fokamezo répondra qu’il a l’habitude de se baigner très tôt le matin. Il sera immédiatement arrêté, et à la suite d’une fouille minutieuse, la canne et la machine à dactylographier du roi Ngouajeu Jean vont être découverts au sein de son palais. Ayant désormais la preuve indéniable de son implication dans le complot de l’assassinat du roi des Bafou, la revanche des Bafou va être indescriptible. Dans la foulée, le chef Tsinglah va aussi être arrêté par les forces de sécurité de la subdivision, et les deux vont être incarcérés dans la prison de Bangou, dans le département des Hauts-Plateaux et la région de l’Ouest. Une autre version dit que le chef Fokamezou fut tué par inadvertance par un brigadier pendant le voyage, et que seul le chef Tsinglah séjourna en prison jusqu’à sa mort.
En définitive, le règne tumultueux de Fo’o Ndong Ngouajeu Jean a abouti à son assassinat sauvage par des assaillants qui voulaient imposer à Bafou une ligne de conduite. Cette mort a permis au peuple Bafou de prendre conscience sur la nécessité de rester fortement unis autour de son roi, gardien de ses traditions, mais aussi leaders de ses principes et de ses valeurs. En traçant ainsi les jalons du règne de son successeur, le Docteur Paul Kana2, encore étudiant en médecine en France, Fo’o Ndong Ngouajeu Jean s’est endormi en ayant inscrit son nom dans l’histoire de la dynastie des Fo’o Ndong de façon beaucoup plus indélébile, c’est-à-dire par son sang précieux.
Auteur : Mooh Sob Ndoungue NOUPOUWO Eric Géraud
Propriété : Bafou culture et traditions ©